Carnet de bord d’un convoi humanitaire

par 25 Avr,2022Convoi humanitaire

Convoi humanitaire du 23 et 24 avril 2022.

Lille – Varsovie – Chelm – Varsovie – Lille en 43 heures. 

Retour sur un voyage de plus de 3000 km, de Lille à Varsovie. Ce carnet de bord vous livre les joies et les peines d’un convoi humanitaire.  C’est aussi l’histoire de belles rencontres. Du rire aux larmes, de retour du convoi nous nous sentons différents. Il sera toujours, pour les 21 bénévoles, un souvenir gravé dans leur mémoire. Carnet de bord d’un des bénévoles du convoi humanitaire pour acheminer des dons et accompagner 21 personnes déplacées d’Ukraine.

Veille du départ du convoi humanitaire

Vendredi 18h entrepôt du Portail de l’Ukraine

 

C’est le remue-ménage rue de Toufflers à Lys-Lez-Lannoy. Les 21 volontaires sont bien décidés à charger le maximum de dons pour l’Ukraine dans ce convoi humanitaire. Avant de se retrouver, ils ont fait chacun le tour des initiatives partenaires du Portail de l’Ukraine pour apporter des cartons. Souvent en vrac, les produits d’hygiène, d’alimentation pour bébés, de matériel médical d’urgence et de denrées alimentaires sont triés, empaquetés et étiquetés en polonais et en ukrainiens par famille de produits. Objectif : faciliter la tâche et le dispatch des dons en Pologne pour l’Ukraine. Les véhicules sont chargés, on fait connaissance. Certains se connaissent depuis des années, d’autres découvrent leur co-pilote. Nous allons partager 43h de route ensemble.

Départ du convoi, rendez-vous à l’aube

Samedi 4h du mat : réveil, douche, 1 puis deux cafés, préparation d’un petit bagage et plein de denrées alimentaires.

 

5h du mat : aire de Camphin en Pévèle, tout le monde répond à l’appel. Il fait encore nuit et frisquet. Briefing rapide de François-Xavier Morel qui gère ce convoi. Nous partons vers la Pologne. Des arrêts sont planifiés toutes les deux heures afin de changer de conducteur et faire une pause. Tous les arrêts sont identifiés. En renfort un groupe What’sApp : « convoi du 23/24 avril » pour échanger. 1384 km nous séparent de la première destination : Varsovie pour livrer les dons en soirée.  Le convoi prend la route avec une voiture de tête désignée comme leader. C’est Andy Sutcliffe au volant qui en est à son cinquième convoi. Un spectacle de lever de soleil accompagne notre lancée. Les premiers échanges sur What’s app se font entre alertes de sécurité et notes d’humour. Et la solidarité avant tout.

 

7h30 premier arrêt en Belgique juste avant de franchir la frontière allemande. On improvise un petit-déjeuner. Certains ont ramené des brioches d’autres des petits pains. On fait connaissance comme si on partait pour un week-end entre potes.

 

8h on franchit la frontière allemande.

Le soleil est au rendez-vous, le convoi file vers sa destination. J’échange avec les bénévoles en charge de l’affectation des familles. Andy et moi devons rencontrer une maman et sa fille à Chelm. Agathe Iwanow de l’asso me demande d’envoyer notre photo pour les rassurer. Premier Selfie dans la voiture.

On continue à communiquer dans le groupe sur les différents arrêts, certains sont derrière et ont besoin d’être rassurés sur les points de rencontre. Tout va bien, tout le monde suit. Gabriel et Nathan carburent à la boisson énergisante. Sur la route on croise d’autres convois, certains militaires.

 

 

12h30 : nous avons identifié une aire d’autoroute pour le déjeuner. Les stations-services en Allemagne sont dépourvues de banc et d’espace de verdure. Peu importe, nous nous approprions un carré de macadam et tout le monde sort sa glacière. On partage un pique-nique. Etienne se met à couper du saucisson comme à l’heure de l’apéritif. On rigole, on échange mais on sait quelle est notre mission : accompagner les personnes déplacées d’Ukraine. François-Xavier fait un topo sur l’association Lille Aide Ukraine, et vante les mérites des bénévoles engagés et du travail accompli pour identifier les familles d’accueil et les personnes déplacées. Parmi elles, Manon est du convoi. 

Fin de la pause déjeuner, on reprend la route direction Berlin. L’ambiance est de plus en plus détendue. On a beau être chacun dans notre véhicule, un superbe esprit de groupe se développe. Pour faire passer le temps, les co-pilotes lancent un concours de la plus belle vidéo. D’autres s’amusent à photographier le troisième co-pilote endormi. Nous devons livrer la marchandise mais le plan a changé. En raison de la Pâques orthodoxe, notre entrepôt à Varsovie est fermé. Nous sommes en contact avec Laurent Blin qui gère depuis Lille les rendez-vous. On nous communique un autre point contact. Caroline, bénévole du convoi, lui téléphone et discute en russe avec elle. Elle nous assure que peu importe l’heure d’arrivée, il y aura quelqu’un pour nous accueillir. Le point de rendez-vous rentré dans le GPS, on se remet en route.

15h58 : on franchit la frontière polonaise. Je réalise que notre objectif se concrétise, je poste sur le groupe Facebook de Lille Aide Ukraine : « Pologne. Nous sommes là. A mesure que nous nous rapprochons, notre voyage prend de plus en plus de sens ». Quelques larmes embuent mes yeux, je pense à ces personnes que nous allons rencontrer. Ça approche. Des messages légers continuent d’affluer sur le groupe What’s App, maintenant c’est au tour du sosie.

 

Sur la route, on apprend par nos volontaires en France que certaines familles que nous devons accompagner ont annulé. Nous sommes déçus, mais l’équipe à Lille se plie en quatre pour que nous trouvions d’autres familles à accompagner en France. Les bonnes nouvelles arrivent au fil du temps et nous gardons espoir. Revenir, pour certains à vide, serait un sentiment d’échec.

Environ 20h : Quelque part à proximité de Varsovie. La nuit est tombée, nous sommes à une centaine de mètres du point de dépôt indiqué. On attend sur la bas-côté au milieu d’habitations que tout le monde se rassemble. Pas question de laisser une partie de l’équipe seule. Je suis inquiète et je me demande où l’on est. On avance les premiers, on passe une grille, devant nous une sorte de hangar, des remorques de tracteurs et quelques hommes en jogging. Andy s’adresse à l’un d’entre eux « aids ». L’homme pointe du doigt une remorque de camion au bout de la propriété dans la boue. Je ne suis pas rassurée, qui sont ces personnes ? Un homme déplie la bâche, on sort de la voiture, quelques ukrainiens apparaissent et forment une chaîne. Le minibus est vidé en deux minutes. C’est au tour des suivants. Nous voulons prendre des photos de cet endroit perdu au milieu de rien. Un ukrainien nous dit de suite : « no photos ». Pour des questions de sécurité, il ne veut pas que cet endroit soit identifié. Les véhicules sont vidés, nous avons finalement l’autorisation de prendre une photo de groupe. Un reflet vert se dessine sur la photo, le vert porteur d’espoir. Andy et moi partons pour Chelm.

 

 

Crédit photo Gabriel Zacharski

21h départ pour Chelm. On rentre les coordonnées GPS de l’hôtel où nous attendent Tetyana et Yevhenia : 3 heures de route. Le moral baisse. Il est tard, je suis fatiguée mais c’est notre mission. Cette maman de 70 ans et sa fille de 47 ans étaient encore en Ukraine la veille. Agathe me demande des nouvelles, elle a besoin de les rassurer. Je lui indique notre heure d’arrivée. Nous prenons la route, il fait noir j’ai de plus en plus mal au ventre à force d’être assise avec la compression de la ceinture de sécurité. Petit arrêt coup de blues. On repart. Laurent nous informe que nous aurons peut-être une famille et deux chats à Lublin à reprendre sur le retour.

23h45 arrivée à Chelm à moins de dix kilomètres de la frontière ukrainienne. On arrive à l’hôtel. L’ambiance est gaie, des personnes rient sur la terrasse, un mariage est organisé. Une atmosphère décalée de la situation que nous vivons, je me dis que nous nous sommes trompés. Je franchis la porte de la réception. Deux femmes assises dans un fauteuil attendent patiemment. Je dis « Tetyana». Elles me regardent, se lèvent sans esquisser un sourire. La réceptionniste souhaite s’assurer que je suis bénévole et que je vais bien en France. Elle les étreint et les accompagne jusqu’à la voiture, histoire de vérifier qui nous sommes. Elles montent tout au fond de la voiture, nous n’échangeons pas pour l’instant. Je m’assoupis parfois mais je n’arrive pas à me détendre, la peur d’avoir un accident. Si près de la frontière avec l’Ukraine, j’ai peur de ce qui pourrait nous tomber dessus. Des feux clignotants nous éblouissent régulièrement, que peut-il arriver ?

 

Deuxième jour, des poches sous les yeux et le cœur lourd

 

3h du mat : nous sommes à l’hôtel à Varsovie du point de rassemblement du matin. Malheureusement, plus de place pour nous. Je m’installe avec Tetyana et Yevhenia  dans le lobby. La lumière emplit ce lieu alors que nous aimerions nous reposer. Je m’excuse auprès de mes « hôtes », elles ont passé la journée à nous attendre dans le lobby d’un hôtel et voilà que je leur réserve le même sort. La maman me dit que tant qu’il n’y a pas la guerre comme à Kiev, ce n’est rien. De ce que je comprends. Elles ne parlent pas anglais et encore moins le français. On sort nos applications de traduction en français-ukrainien et on commence à échanger. De quoi leur parler ? Je ne veux pas être intrusive et discuter de ce qui leur est arrivé. Je leur demande de m’apprendre quelques mots en ukrainien. On échange des banalités, je leur parle de Lille. Je leur demande si elles connaissent la France et l’Europe. La maman Yevhenia esquisse un sourire et ça me fait chaud au cœur. On arrive à se toucher les mains, je veux leur montrer que nous sommes là pour elles.

 

5h30 : trois personnes sont plantées devant l’hôtel avec des valises. Je m’avance et leur dit bonjour. Alla, une maman d’une quarantaine d’année et ses deux filles de 14 et 18 ans Liza et Sophia. Sa fille aînée me répond en français mais me dit que l’anglais c’est mieux pour elle. Nous échangeons, elle me confie qu’elles sont en Pologne depuis un mois mais elles veulent s’installer en France. Sophia est étudiante à Kiev, elle continue ses cours en visio mais elle souhaite renforcer son français et aller à l’université à Lille. Elles se projettent à long terme en les écoutant. Elles sont adorables et très enjouées.

 

5h45 : Un taxi s’approche. Sergei sort de la voiture avec son épouse et ses trois enfants. Cette famille a décidé la veille de rejoindre notre convoi. J’accueille Sergei qui est tout sourire. Sa petite fille n’a que deux ans.

 

6H : Départ. Tetyana et Yevhenia ne sont plus avec moi. Elles voyagent dans une autre voiture et elles s’inquiètent pour leurs quelques bagages. 70 ans de vie dans trois sacs. C’est tout ce qui leur reste. Je fais le transfert de suite. Elles sont rassurées. Andy et moi sommes extrêmement fatigués, nous ne sommes pas en état de conduire. Des chauffeurs d’autres voitures viennent prendre notre volant le temps que nous nous reposions.

 

9h : nous arrivons à Poznan, nous prenons en charge d’autres personnes. Dans notre minibus, trois membres d’une famille Anna, Vasyl et Andrii montent à bord. Ils s’installent tout au fond de sorte que la communication est difficile. Ils me parlent en russe ou ukrainien, je leur parle en français ou en anglais. Nous échangeons très peu.  Je suis de plus en plus de mauvaise humeur, je dois l’avouer. Trop fatiguée et les larmes aux yeux. Puis au fil des heures, je me radoucis. Nous sommes là pour eux. Nous franchissons la frontière Allemande et nous élançons sur l’autoroute de la liberté, cette autoroute qui relie l’ancienne Allemagne de l’est avec l’ouest. Tout un symbole dans notre Europe libre où les frontières sont invisibles. Je me demande ce qu’ils pensent, dans quel état d’esprit sont-ils ? Rassurés ou peur de l’avenir ?

A chaque étape, l’ambiance est de plus en plus chaleureuse. Nous échangeons, certains se confient et nous ne pouvons nous empêcher de pleurer. Sergei me dit qu’il va repartir de zéro en France, qu’il aime apprendre et que son avenir est avec nous. On se sert dans les bras. Alla, Sophia et Liza nous demandent pourquoi nous faisons cela. Sébastien leur parle de ce que ses enfants disent et je les vois fondre en larme tous les quatre, je fais un clin d’oeil à Alla, les larmes aux yeux. A chaque arrêt, je retrouve Tetyana et Yevhenia, qui me sourient à chaque fois. Je me sens responsable d’elles et je les accompagne aux toilettes. Des toilettes payantes et leur monnaie ne permet pas de régler les 0,70 centimes.

Dernier arrêt avant de nous séparer

21h00  Dernier arrêt à proximité d’Anvers. François Xavier nous rassemble tous. Il parle de notre association et du travail que nous maintenons plus que jamais. Olga, qui parle parfaitement français, traduit en ukrainien pour ses compatriotes.  Elle nous fait part des frissons qui la parcourent et se fait le porte-parole des personnes déplacées. Elle nous dit que nous avons un cœur et que ça se voit dans nos yeux. Nous sommes tous émus. Prochaine étape la gare Lille Europe où les membres de l’association et les familles nous attendent. Dernière ligne droite tous ensemble avant de se séparer. Nous décidons de mener ce convoi groupé et d’arriver en même temps.

 

23h02 : Gare Lille Europe – Arrivée du convoi. Les familles d’accueil sont là, tout sourire. De belles surprises attendent certains. Natalia, 26 ans est accueillie par une amie ukrainienne installée à Lille depuis peu. Elles s’embrassent, elles se serrent très fort. C’est beau. Je m’étais promis de dire au revoir à Tetyana et Yevhenia. Et dans ce tourment, elles étaient déjà parties. Je voulais leur souhaiter le meilleur. Je suis triste.

Lundi matin ; je demande à Agathe par quel moyen elle était en contact avec Tetyana et Yevhenia. Viber est la solution. Je télécharge l’appli, contacte Tetyana et lui confie ma déception de ne pas leur avoir dit au revoir, que je suis là si elles ont besoin. Elle me répond : « Nous regrettons également de ne pas avoir pu vous embrasser. C’est peut-être un signe que nous nous rencontrerons toujours en personne ». Je pleure encore une fois et je pleure toujours. Sur le groupe What’s app, nous continuons à échanger, à parler des bonnes nouvelles des personnes que nous avons accompagné. Un lien qui nous unit, un lien que nous n’avons pas envie de couper. Une expérience remarquable. Une échappée le temps d’un week-end qui a du sens et nous donne la force de continuer.

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